- JUSTICE (ORGANISATION DE LA)
- JUSTICE (ORGANISATION DE LA)Par administration de la justice, on entend la manière dont sont réglées les contestations ou punis les comportements antisociaux des individus. La justice est, dans les États modernes, un service public; elle est administrée, en conséquence, par des juges qui ont reçu leurs pouvoirs du souverain et qui les exercent en conformité de la loi.Il n’en a pas toujours été ainsi. Dans les sociétés primitives, l’administration de la justice est prise en main par ceux qui se jugent lésés, et la société se borne à exercer un certain contrôle sur des réactions qui risquent d’être plus passionnelles que justes. Le souverain, dès qu’il s’affirme, apparaît cependant comme étant essentiellement un justicier: c’est là sa première fonction dans des sociétés où le problème fondamental est de faire régner la paix plutôt que de mettre en place et de faire fonctionner une quelconque administration.On conçoit au surplus fort bien que le souverain ne soit pas un législateur. Le droit peut être regardé comme un dépôt sacré dont il est le serviteur et qu’il n’est pas habilité à modifier: c’est la conception de l’islam, et dans notre ancien droit français même l’on n’a admis qu’avec beaucoup de réserve le droit pour les rois de changer le droit. En Angleterre, il demeure encore, aujourd’hui, des traces visibles du même état d’esprit: les lois ne sont pas regardées comme le mode normal d’expression du droit. Le souverain, en revanche, est regardé en tous pays, dans toutes les civilisations, à toutes les époques, comme ayant la tâche de surveiller, sinon de diriger, l’administration de la justice, dans le cadre de la mission qui lui est dévolue, de faire régner le bon ordre et d’assurer la paix.Il est important de noter, dès l’abord, le rapport qui existe ainsi entre l’administration de la justice et le droit. Les deux choses sont liées assurément, mais elles sont distinctes. L’administration de la justice peut se concevoir en dehors de règles de droit, par l’exercice de pouvoirs d’équité ou de grâce, ou dans la recherche de l’harmonie; la justice ne suppose pas nécessairement un droit exprimé par des règles juridiques. L’arbitrage, de nos jours encore, peut bien, en nombre de cas, être regardé comme un mode d’administration de la justice indépendant du droit: on convient d’aller devant l’arbitre parce que l’on sait que, de la sorte, le conflit qui s’est élevé sera résolu, mais on ignore souvent quel système de droit l’arbitre appliquera, et l’on peut même douter parfois qu’il applique un droit. Le droit, de son côté, peut, au moins dans une certaine conception, exister et avoir une valeur indépendamment de tout mécanisme apte à le mettre en œuvre; un principe ne cesse pas d’être juste parce qu’il n’est pas sanctionné.Des rapports étroits existent néanmoins, bien évidemment, entre justice et droit. Il en est ainsi d’autant plus que la notion et le critère du droit sont incertains et contestés; les règles qui ne sont pas sanctionnées par les tribunaux, celles qui ne sont pas appuyées par la contrainte étatique apparaissent à beaucoup d’esprits comme n’ayant pas un caractère proprement juridique à l’heure actuelle.Sous le bénéfice de ces observations préliminaires, demandons-nous maintenant comment, dans les divers pays, est administrée la justice. Il convient de donner, à ce sujet, des indications sur l’organisation judiciaire, d’une part, sur la procédure suivie par les tribunaux et sur l’exécution des décisions de justice, d’autre part. Nous nous demanderons enfin, pour conclure, s’il est légitime ou non de parler d’un «pouvoir judiciaire», participant au gouvernement à côté des autres pouvoirs.1. Organisation judiciaireUne bonne organisation judiciaire doit, selon l’opinion unanime, s’efforcer de satisfaire à certaines aspirations: la justice doit être aisément accessible aux plaideurs, elle doit d’autre part être administrée par des juges compétents et intègres.L’idée même que la justice des tribunaux étatiques soit à la disposition des plaideurs n’a été admise qu’avec une certaine difficulté. Pendant longtemps on a considéré comme un privilège le fait de recourir aux juridictions royales ou étatiques, la règle étant la compétence de juridictions situées à un niveau inférieur, indépendantes de tout contrôle étatique. De nos jours, cependant, on considère universellement que c’est un droit pour les citoyens de saisir la justice de leur pays.L’affirmation de ce droit ne résout pourtant pas les problèmes. Aussi bien la manière dont on cherche à faciliter aux plaideurs l’accès des tribunaux, celle dont on cherche, d’autre part, à leur assurer des juges compétents et intègres, et en conséquence l’organisation judiciaire que l’on trouve dans les différents pays, sont-elles très variées. Des facteurs multiples contribuent à cette variété: les dimensions du pays envisagé, son caractère fédéral ou unitaire, son degré de civilisation et la plus ou moins grande complexité des rapports qu’il y aura lieu de juger, le rôle aussi qui est dévolu au droit dans le système de l’ordre social, certaines traditions historiques, des données politiques ou économiques, la nature des affaires que l’on entend voir trancher par les tribunaux. L’organisation judiciaire française, qui nous paraît être rationnelle parce que nous y sommes habitués, ne saurait convenir à tous les pays.L’administration de la justice en FranceCette organisation, en France, est relativement simple. Elle est conçue, en ce qui concerne les affaires civiles , comme une hiérarchie, comportant à la base des tribunaux d’instance et des tribunaux de grande instance; au-dessus de ces tribunaux, qui statuent en première instance, on trouve un certain nombre de cours d’appel, au sommet une Cour de cassation, qui est la cour suprême. Le tableau se complique, cependant, du fait de l’existence de certaines juridictions d’exception (tribunaux de commerce, conseils de prud’hommes, tribunaux paritaires des baux ruraux, commissions du contentieux de la Sécurité sociale), qui, en première et parfois en seconde instance, sont appelées à connaître de diverses affaires, précisées par la loi, au lieu des tribunaux d’instance ou de grande instance, ou des cours d’appel.À côté de cette hiérarchie des tribunaux, statuant au civil, il en existe une autre, pour les affaires criminelles. On trouve ici des tribunaux de police pour connaître des contraventions, des tribunaux correctionnels pour connaître des délits correctionnels. Les uns et les autres de ces tribunaux sont soumis, comme au civil, au contrôle des cours d’appel et à celui de la Cour de cassation. Les infractions les plus graves, appelées crimes, sont de la compétence de juridictions particulières, les cours d’assises, contre les décisions desquelles un recours est possible seulement à la Cour de cassation. Les cours d’assises se caractérisent par le fait qu’un jury, composé de neuf citoyens tirés au sort, y collabore avec des juges de carrière au jugement des affaires.Les tribunaux ci-dessus envisagés ne sont pas compétents, en principe, pour connaître des affaires entre administration et citoyens, qui relèvent du droit administratif. Pour ces affaires, on a, en conséquence, un autre système de juridictions, entièrement distinct, qui comporte essentiellement des tribunaux administratifs et, statuant en première ou deuxième instance, le Conseil d’État. Un Tribunal des conflits règle les problèmes de compétence entre tribunaux de l’ordre judiciaire et tribunaux de l’ordre administratif.Le système judiciaire des autres paysLe système français se retrouve en un grand nombre de pays, avec certaines variantes. La cour suprême est organisée différemment et a souvent un autre rôle. Les cours d’appel peuvent être supprimées. Les juridictions d’exception établies ne sont pas les mêmes. Les tribunaux administratifs peuvent être intégrés dans la hiérarchie des juridictions ordinaires, ou encore ils peuvent disparaître ou voir leurs attributions réglées différemment. Une Cour de justice constitutionnelle peut être prévue, qui n’existe pas en France.Les pays socialistes s’inspirent de principes analogues. Une très importante différence doit cependant ici être notée, en rapport avec la collectivisation de l’économie. Les contestations qui opposent les unes aux autres les organisations économiques étatisées sont soustraites à la compétence des tribunaux de l’ordre judiciaire, pour être réglées, au sein de l’administration, par les soins de commissions d’arbitrage public. Les pays socialistes ont d’un autre côté renoncé à avoir des tribunaux administratifs.La common lawL’organisation judiciaire est fondée sur de tout autres principes en Angleterre. La justice est très concentrée, dans ce pays, dans une cour supérieure unique, qui comporte un très petit nombre de juges. Cette cour supérieure unique, au sein de laquelle peuvent être organisées plusieurs instances, possède une compétence générale, qui s’étend à tous les types d’affaires (civiles, criminelles ou administratives) devant être jugées dans tout le pays. Les cours supérieures, cependant, ne pourraient satisfaire à leur tâche si elles devaient, en fait, connaître elles-mêmes de toutes les affaires. Dans la grande majorité des cas, elles se bornent, en conséquence, à exercer un contrôle éminent sur la manière dont la justice est rendue par des juridictions «inférieures», aux aspects très variés. Une caractéristique des cours inférieures est que la justice y est souvent rendue par des non-juristes, qui ont, en dehors de ce service rendu à la communauté, leur activité principale. La justice criminelle, en particulier, est administrée de cette manière en Angleterre ainsi que, dans une large mesure, la justice administrative, tandis que les affaires commerciales sont fréquemment confiées au jugement d’arbitres. Les structures traditionnelles en matière d’administration de la justice ont dû cependant être révisées dans les conditions de la société moderne. On a tendu à systématiser davantage l’organisation judiciaire, en créant notamment pour les affaires civiles un réseau de country courts et en créant, pour l’application de lois variées, un grand nombre de tribunaux de types divers. On a dû également se résigner à faire appel, de plus en plus, à des juges de profession.Le schéma d’organisation judiciaire anglais se retrouve, avec des variantes, dans les autres pays de common law. Aux États-Unis d’Amérique, il est, d’une façon très originale, compliqué par la coexistence de deux hiérarchies de juridictions, les unes juridictions des États, les autres juridictions fédérales. Les juridictions fédérales, quoique réparties dans toute l’étendue du pays, ont une activité bien moindre que les juridictions des États; mais ce sont elles qui, couronnées par la Cour suprême des États-Unis, exercent une influence déterminante sur l’orientation du droit américain, par l’interprétation qu’elles donnent à la Constitution des États-Unis.Les juges et l’organisation des recoursEn dehors des différences de structure qui viennent d’être exposées, il y a lieu de signaler d’un autre côté la variété des solutions qui sont admises ici et là, touchant le personnel des juges ou l’organisation des recours.Certaines différences essentielles sont à noter touchant le recrutement des juges. Ceux-ci sont, de façon générale, recrutés parmi des juristes qui choisiront à leur sortie de la faculté de droit de faire leur carrière dans le service de la justice. On trouve cependant, dans les pays de common law, un tout autre système: les juges des cours supérieures y sont choisis parmi des avocats, pourvus ou non d’un titre universitaire, pour lesquels cette nomination est un couronnement. Ce mode spécial de désignation des juges est à la fois la cause et l’effet de l’originalité qu’a présentée le développement historique du droit en Angleterre. À lui se rattache le fait que l’Angleterre n’ait connu nulle «réception» du droit romain, enseigné dans les universités. Par le caractère original du juge anglais peut s’expliquer aussi le fait que, en contraste avec le continent, on ait admis en Angleterre le principe du juge unique; l’admission de ce principe a été d’un autre côté favorisée, toutefois, par une autre considération, qui était, jusqu’à une époque récente, la participation d’un jury avec le juge, dans toutes les affaires, civiles ou criminelles, de quelque importance.Le mode anglais de désignation des juges a été admis de façon générale dans les autres pays de common law. Il a été profondément altéré cependant aux États-Unis où, pour les juridictions des États, l’on s’est très largement rallié, au XIXe siècle, au principe de l’élection des juges: les juges continuent bien à être recrutés parmi les avocats, mais le critère déterminant leur choix a cessé d’être le succès professionnel. Dans l’U.R.S.S. et dans les pays socialistes, d’autre part, le principe de l’élection des juges a également été reçu; les élections sont toutefois, dans ces pays, orientées par le parti communiste, et celui-ci s’efforce actuellement, et de plus en plus, de ne proposer aux électeurs que des juristes qualifiés, dans les pays mêmes où cette condition a cessé d’être posée par la loi.À côté des juges, qui instruisent les causes et rendent la justice, on trouve en nombre de pays un ministère public qui tantôt est intégré au service de la justice (pays de la famille romano-germanique), tantôt coopère seulement avec ce dernier dont il est indépendant (pays d’obédience marxiste). L’existence de ce ministère public ne suscite aucune critique dans les pays où il existe; l’on s’accorde en général à lui reconnaître une action bénéfique, et la tendance serait plutôt à accroître son rôle, dans l’intérêt d’une justice plus équitablement rendue aux faibles. Le ministère public, cependant, est facilement regardé comme une offense à la justice dans les pays de common law, qui l’ignorent.Un problème apparenté est celui du ministère de la Justice. Certains voient dans l’existence même de ce ministère une menace pour l’indépendance des juges; d’autres y voient une garantie nécessaire pour une bonne organisation du service de la justice et un rouage des plus utiles pour l’amélioration du droit. L’Angleterre n’a jamais connu et l’U.R.S.S. a supprimé cette institution; la majorité des États n’y voient que des avantages, et l’on trouve aujourd’hui des ministères de la Justice en nombre de pays de common law même (Australie, Canada, États-Unis d’Amérique, etc.). Le ministère de la Justice a été conservé en nombre de pays socialistes (Pologne, Roumanie, Tchécoslovaquie, etc.).Le système des recours, mis en place dans les différents pays, varie également. L’opposition principale, en la matière, est sans doute celle qui existe entre les pays de common law et les autres pays, liée à la distinction qui dans les premiers existe entre cours supérieures et juridictions inférieures. Tout se passe comme si, dans les pays de common law, l’application du droit était chose secondaire, lorsque l’on envisage les juridictions inférieures; l’on ne peut attendre de juges qui le plus souvent ne sont pas des juristes une application sans faille du droit; aussi bien l’important est-il, à ce niveau, que les juges agissent honnêtement et loyalement, qu’ils ne se rendent pas coupables de misconduct. À cette manière de voir s’oppose celle des autres pays, dans lesquels l’attention est centrée sur les règles de fond du droit, beaucoup plus que sur la procédure. Cette tendance, traditionnelle dans les pays de la famille romano-germanique, est devenue plus marquée encore dans les pays marxistes-léninistes, où l’on observe avec un certain étonnement la multiplicité des recours, dont l’exercice est, il est vrai, remis dans une large mesure à la prudence du ministère public, et non à l’initiative des intéressés.2. ProcédureLes deux grands types de procédureLes différentes juridictions établies dans les divers pays administrent la justice en suivant certaines règles de procédure. Ces règles, comme il a été dit, paraissent constituer la chose la plus importante dans le droit, aux yeux des juristes des pays de common law. Dans les autres pays, même sans leur accorder cette prééminence, on reconnaît leur très grande utilité. On ne dit pas comme en Angleterre que «Remedies precede rights» , mais on n’hésite pas à dire que, «Ennemie jurée de l’arbitraire, la forme est la fille jumelle de la liberté» (Ihering).Les règles de procédure que doivent suivre les tribunaux peuvent leur être prescrites par des codes, lois ou ordonnances émanant du pouvoir législatif, ou elles peuvent, dans le cas de certains pays, être leur œuvre propre.Les procédures suivies dans un même pays peuvent être variées, chaque espèce de juridiction ayant sa procédure propre. Toute généralisation risque, ici comme à d’autres sujets, d’être trompeuse. On s’accorde cependant, en doctrine, pour reconnaître deux grands types de procédure, l’une dite accusatoire, l’autre dite inquisitoire.Dans le système accusatoire, l’initiative de l’action en justice est laissée aux intéressés: demandeur dans un procès civil, citoyen lésé dans un procès administratif, organes publics chargés de l’accusation dans un procès criminel. Tous les actes de la procédure seront de même accomplis par l’initiative des intéressés (ou de leurs représentants), à qui il appartient de rassembler notamment les éléments de preuve et d’accomplir tous les actes nécessaires à l’avancement du procès. Le juge n’a pour mission que de juger le litige, en fonction des éléments qui lui sont fournis par les intéressés; il ne joue aucun rôle actif dans la procédure même, mis à part le cas où il doit se prononcer sur un incident de cette procédure.Dans le système inquisitoire, un principe opposé est admis. Le juge, une fois saisi – et parfois il peut se saisir lui-même d’une affaire –, doit aller lui-même à la recherche de la solution juste. Il a le rôle dirigeant dans le procès.Le choix entre les deux systèmes est lié à une option d’ordre politique. Il s’agit de savoir si le procès doit être regardé comme la chose des parties, ou s’il doit servir essentiellement à faire régner les principes du droit, sur la base de toutes les données de fait qui conditionnent cette application. Les pays de tendance libérale donneront la préférence à la première tendance; il ne convient pas d’étendre la mission du juge au-delà de ce que souhaitent lui déférer les intéressés, et il n’est pas opportun de lui confier un rôle qu’il serait souvent dans l’incapacité de remplir. Cette manière de voir, cependant, suscite des objections. On peut craindre qu’elle n’aboutisse, le juge étant incomplètement informé, à fausser l’application du droit et qu’elle offense le sentiment de la justice, au détriment souvent de celui qui, moins habile ou moins bien assisté, n’aura pas su présenter dûment les arguments en sa faveur.Les différents systèmes de droit s’opposent dans le monde contemporain, en ce qui concerne cette question. Les pays de common law, suivant le modèle de l’Angleterre, donnent la préférence à une procédure accusatoire. Au criminel aussi bien qu’au civil, toute la procédure est menée par les représentants des parties. Il appartient aux parties elles-mêmes de préciser les questions qui seront posées au juge (c’est l’objet des pleadings ), de rechercher les preuves, de produire enfin celles-ci à l’audience publique (day in Court ) en employant la technique d’interrogatoire (examination in chief ) et contre-interrogatoire (cross-examination ) des témoins. Le juge anglais ignore tout du procès lorsque commence l’audience publique. Son rôle est seulement, au cours de l’audience, de diriger les débats, d’empêcher que ceux-ci ne s’égarent, de s’opposer aussi à ce que des éléments de preuve jugés inadmissibles par le droit ne soient invoqués. Au terme des débats, une ou plusieurs questions seront posées au jury, qui, lui aussi, ignore tout du procès au début de l’audience, et, sur la base du verdict du jury, le juge rendra son jugement. Ce schéma de la procédure anglaise n’est plus, de nos jours, entièrement exact. Le jury a pratiquement disparu en matière civile, et il est devenu exceptionnel en matière pénale. Du XIIIe siècle à 1856, il n’y a pas eu de procédure en common law, cependant, qui ne comportât la participation d’un jury, et l’on a, dans une très large mesure, conservé dans ses principes la procédure, strictement accusatoire, et orale, qui s’est formée au temps où il y avait un jury. Dans les matières relevant de l’equity seulement, la procédure est différemment aménagée. Il n’a jamais existé dans ces matières de jury, et le juge peut ordonner, à la demande d’une des parties ou même d’office, que certaines preuves soient produites par un des adversaires. Il est important de le noter; le recours à ces «remèdes d’equity » permet d’assouplir le système, trop fortement marqué par son caractère accusatoire, de la common law. Un auxiliaire de la justice, le master , joue actuellement un rôle très important pour la «mise en état» de l’affaire en Angleterre.Les pays socialistes ont pris le contre-pied de la common law. Dans ces pays, toutes les procédures, tant civiles que criminelles, sont dominées par le principe inquisitoire. Le juge doit rechercher la «vérité objective». Le dossier de l’affaire est établi sous sa direction, de manière que l’affaire ne vienne à l’audience publique qu’après avoir été préparée, instruite de façon appropriée. C’est au juge qu’il appartient de citer les témoins et de les interroger; le juge peut prescrire un supplément d’enquête, procéder à une inspection des lieux, recourir à des expertises. À l’audience publique, il joue pareillement un rôle actif, n’oubliant jamais qu’il est là pour coopérer à l’affermissement de l’ordre soviétique et qu’un de ses rôles majeurs est de persuader les citoyens de la nécessité et de l’excellence du droit socialiste.La position du droit françaisEntre ces deux positions, le droit français et les autres droits de la famille romano-germanique suivent une voie moyenne, qui comporte au surplus beaucoup de variantes. Une procédure écrite, adoptée en premier lieu par les tribunaux ecclésiastiques, a remplacé peu à peu, à partir du XIIIe siècle, les procédures orales suivies dans le haut Moyen Âge; à la faveur de ce changement, la procédure est devenue de plus en plus inquisitoire, principalement en matière criminelle. L’existence d’un ministère public, qui n’existe pas dans les pays de common law, accuse ce caractère.Les tendances libérales ont tempéré cependant cette évolution et, au XIXe siècle, un compromis a paru être réalisé. En matière criminelle et dans la justice administrative, la procédure est demeurée de type inquisitoire, la chose se justifiant du fait que, dans ces matières, l’État (ou la société) paraissait être directement intéressé à la solution du procès. En matière civile, au contraire, on a adopté un moyen terme. Le procès est en principe considéré comme la chose des parties, qui peuvent à leur discrétion faire valoir ou non leurs droits. Le juge ne peut statuer ultra petita et il ne peut prendre en considération que les points à lui soumis et les preuves à lui présentées par les parties. Un dossier de l’affaire est néanmoins constitué sous sa direction, et l’on s’écarte de la pratique anglaise où ce sont les avocats des parties qui interrogent et mettent à l’épreuve les témoins.Les positions ainsi adoptées ont été remises en question depuis la fin du XIXe siècle, où une ordonnance autrichienne sur la procédure a donné en 1895 le branle à une évolution nouvelle. La tendance est actuellement à accroître les pouvoirs du juge dans la procédure, en se rapprochant par conséquent de la position des pays socialistes. Cette tendance n’a toutefois qu’une portée limitée. On n’imagine toujours pas que le juge puisse se prononcer ultra petita ; c’est seulement dans le cadre des questions à lui soumises par les parties que l’on est porté à donner au juge un plus grand rôle, dans la préoccupation d’améliorer le service de la justice et d’accélérer les procédures plus que dans celle d’assurer le triomphe d’une vérité objective sur l’existence de laquelle on entretient des doutes. Ajoutons que les mesures tendant à réformer la procédure se heurtent fréquemment aux habitudes des professions juridiques, et que les juges paraissent souvent peu soucieux d’assumer les tâches élargies qu’on leur propose; le système accusatoire trouve dans ces éléments une solide assise, quelle que soit la tendance en législation.On s’accorde à reconnaître que la procédure visant à administrer la justice doit, pour être satisfaisante, présenter deux caractères: elle doit être suffisamment rapide et ne pas impliquer des frais excessifs. Beaucoup demeure à faire, cependant, pour atteindre ce double objectif. En de nombreux pays, on se plaint des lenteurs de la justice; souvent, le montant élevé des frais de justice est aussi l’objet de critiques; et il ne manque pas de pays où l’on se plaint à la fois de la lenteur et du coût de la justice. Plus que la procédure, une organisation judiciaire mal conçue est souvent responsable de la première: une mauvaise répartition des tâches entre les tribunaux existants, l’insuffisance et parfois l’archaïsme des moyens dont ils sont dotés sont une cause d’encombrement qui peut retarder considérablement le cours de la justice. Pour ce qui concerne le coût de la justice, on s’est trop aisément contenté, en nombre de pays, de poser le principe que la justice était gratuite. On a pensé trop souvent que ce principe était satisfait si les juges recevaient un traitement fixe de l’État, au lieu d’être rétribués, comme autrefois, sur les frais de justice versés par les plaideurs (système des «épices»). Les frais de justice n’ont pas pour autant diminué, et leur coût constitue souvent une barrière infranchissable pour nombre de citoyens. L’injustice qui en résulte est assez généralement reconnue de nos jours; l’on s’est, en de nombreux pays, efforcé d’y porter remède en réduisant les frais de justice, ou plus souvent en mettant en place un système d’assistance judiciaire gratuite qui ouvre aux moins fortunés l’accès des tribunaux.3. PreuvesUne question étroitement liée à celle de la procédure est celle des preuves qui vont déterminer la décision du juge. Une évolution peut être notée à ce sujet dans l’histoire.Dans un premier stade, qui est celui des sociétés primitives, la preuve est dominée par l’appel aux puissances surnaturelles. Le juge n’a pas pour mission de dire laquelle des parties doit triompher. Son rôle est seulement de dire à quelle épreuve les parties, ou telle d’entre elles, seront soumises, pour que le jugement de Dieu désigne celui qui doit triompher, fasse savoir si l’accusé est coupable ou est innocent. Dans ce système, le jugement, comme on a dit, précède la preuve, n’ayant pour objet que de régler comment celle-ci sera administrée. Les modes de preuve auxquels on peut avoir recours n’ont rien de rationnel: ce sont le duel judiciaire, les ordalies, le serment (prêté par l’une des parties ou par des cojureurs).Un bond dialectique, pour employer la terminologie marxiste, est accompli lorsque, à ce système, est substitué le système dit des preuves légales. On cesse de solliciter l’intervention des puissances surnaturelles, et l’on cherche à trouver par des procédés faisant appel à la raison la solution juste des procès. On n’a toutefois qu’une confiance limitée en l’homme, et l’on ne se hasarde pas à donner toute liberté au juge. Le droit s’efforce de déterminer non seulement quelles preuves seront ou ne seront pas admissibles, mais aussi le poids que chacune des preuves admises se verra reconnaître. Il est clair que la parole d’un homme libre n’a pas la même valeur que celle d’un serf, celle d’un clerc ou d’un noble la même valeur que celle d’un vilain, celle d’une femme la même valeur que celle d’un homme. L’écrit est autre chose que le témoignage, l’aveu conserve une valeur inégalable et le serment demeure pour appuyer des preuves insuffisantes ou suppléer à une absence de preuves.Le système des preuves légales nous paraît aujourd’hui artificiel et irrationnel. Son admission n’en a pas moins constitué, en son temps, un progrès considérable, ne serait-ce qu’en raison du seul fait qu’elle a permis de relancer la science du droit en redonnant un intérêt à son étude. De nos jours, on considère pourtant, dans les pays évolués, que ce système a fait son temps. La faveur va à un système nouveau, celui de la libre appréciation des preuves par le juge; ce dernier paraît être suffisamment instruit et perspicace pour graduer lui-même le degré de persuasion des différentes preuves qui lui sont présentées.Si le système de libre appréciation de la preuve tend ainsi à prévaloir, il s’en faut de beaucoup qu’il soit, ici et là, accepté sans réserve. Diverses règles subsistent dans les différents droits, qui se rattachent à la période antérieure, tandis que le serment décisoire ou supplétoire, en France et en nombre de pays, continue à être admis, vestige du temps où l’on en appelait au jugement de Dieu.4. Exécution des jugementsL’administration de la justice ne trouve pas sa conclusion dans le prononcé du jugement. Elle n’est parfaite que si le jugement rendu est exécuté. La matière de l’exécution des décisions de justice est, cependant, traditionnellement, distinguée de celle de l’administration de la justice.Elle est envisagée en France, notamment, dans des ouvrages spéciaux, relatifs aux «voies d’exécution»; on trouve dans ces ouvrages la description des procédés variés à l’aide desquels peut être assurée cette exécution; au premier rang de ces procédés figurent les différentes saisies.La distinction de l’administration de la justice, d’une part, et des voies d’exécution, d’autre part, trouve son explication dans des raisons d’ordre historique, et peut encore se justifier, à notre époque, par des raisons d’ordre pratique.Dire où est la justice est une chose, la faire régner en est une autre. Ceux qui ont rendu la justice n’ont pas toujours été en mesure d’assurer l’exécution de leurs jugements, et, de nos jours encore, ce ne sont pas les mêmes autorités qui sont chargées de l’une et l’autre de ces tâches.Un lien étroit unit cependant l’une et l’autre. Les progrès des juridictions royales, en Angleterre notamment, ont été dus pour une large part au fait que ces juridictions, mieux que les autres, étaient en mesure d’imposer l’exécution de leurs décisions. Aujourd’hui encore, les pays de common law offrent un modèle, dont il peut y avoir lieu de s’inspirer, par l’efficacité de leurs voies d’exécution. On n’hésite pas, en Angleterre, à emprisonner pour contempt of Court celui qui, de mauvaise foi, n’exécute pas un jugement.L’exécution des décisions de justice est, en revanche, compromise en France pour deux séries de raisons. En premier lieu figure le respect pour la liberté de la personne. Réagissant contre les abus anciens de la prison pour dettes, on n’admet pas qu’un individu puisse être atteint dans sa liberté parce qu’il ne paie pas ses dettes. La réaction est assurément louable, mais on s’accorde généralement pour penser qu’elle a été trop loin; si le débiteur impécunieux doit être protégé, la faveur de la loi ne doit pas aller à celui qui, de façon évidente, dissimule ses ressources et vit dans l’opulence en bafouant, outre ses créanciers, la justice qui l’a condamné.Aux insuffisances de la loi s’ajoutent les hésitations de l’administration, qui trop souvent refuse de prêter main forte à l’exécution des jugements. Il peut, à coup sûr, exister de bonnes raisons à ce refus, mais les particuliers ne devraient pas avoir à en souffrir. La manière dont peut être mise en œuvre la responsabilité de l’État, cependant, transforme souvent en injustice le refus d’exécuter les décisions de justice.5. Le pouvoir judiciaireLe principe de séparation des pouvoirs, affirmé à la suite de Montesquieu par la science politique du XIXe siècle, reconnaissait l’existence de trois pouvoirs, dont l’équilibre était nécessaire pour assurer un bon gouvernement. À côté du pouvoir législatif, à côté et distincts du pouvoir exécutif, les tribunaux étaient appelés à participer au gouvernement de la nation; ils constituaient ce que l’on appelait le pouvoir judiciaire.La place éminente que Montesquieu a assignée aux tribunaux dans l’organisation des pouvoirs publics était à son époque justifiée. Administrer la justice est la tâche la plus ancienne, la tâche primaire de tout gouvernement; il était naturel de la mettre en relief et de manifester aussi par là même, comme enseignait l’école du droit naturel, que le droit, la justice sont des idées préexistantes à la société, qui s’imposent aux gouvernements comme elles s’imposent aux citoyens. Le rôle joué dans l’ancienne France par les parlements, celui surtout qu’ils avaient l’ambition de jouer expliquent que Montesquieu, lui-même conseiller au parlement de Bordeaux, ait pu considérer qu’il existait, qu’il dût exister un «pouvoir judiciaire». Cette manière de voir était d’autant plus naturelle que le droit français alors n’était pas codifié; la loi ne jouait pas le rôle qu’elle a reçu depuis; il appartenait dans ces conditions aux juges, dans une très large mesure, de créer le droit. Les magistrats enfin, titulaires d’offices de judicature qui apparaissaient comme leur propriété personnelle, constituaient un corps entièrement distinct des commis et autres agents de l’administration; il paraissait légitime de reconnaître l’autonomie de ce corps, qui affirmait son indépendance, et d’y voir un véritable pouvoir, distinct du législatif et de l’exécutif.L’évolution qui s’est produite depuis les jours de la Révolution française nous a conduits à réviser ces vues. La codification napoléonienne a fait prévaloir l’idée que la source normale du droit était la loi; elle nous a habitués à voir dans le juge un simple organe d’application des lois, chargé de les interpréter; le juge n’a plus eu à découvrir ni à créer le droit. La patrimonialité des offices a été abolie, et les juges ont été de ce fait rapprochés des fonctionnaires, leur nomination, leur promotion aussi, étant désormais réglées par le pouvoir exécutif. Les tâches de l’administration se sont d’autre part multipliées, et, dans l’État providence de nos jours, sa fonction de rendre la justice n’apparaît plus comme la fonction principale indiscutée de l’État.Toute une hiérarchie nouvelle de juridictions s’est enfin constituée, au sein même de l’administration, et l’importance prise par ces juridictions administratives ne permet plus de voir dans les tribunaux ordinaires – ceux de l’ordre judiciaire – les détenteurs d’un pouvoir comportant une exclusivité dans le domaine de la justice. Les magistrats sont ainsi venus peu à peu à être considérés dans l’opinion publique comme des fonctionnaires, voués simplement à des tâches particulières et dotés d’un statut propre; l’idée qu’ils constituent un pouvoir autonome, au même titre que pouvoir législatif ou pouvoir exécutif, s’est évanouie; la Constitution de 1958 a ajusté la terminologie à la réalité en ne parlant plus que d’une simple «autorité judiciaire». Un vestige de la conception ancienne ne demeure plus que dans le fait qu’il est traité encore de cette autorité dans la Constitution elle-même; la chose atteste la place toute particulière que nous continuons d’assigner aux tribunaux.S’agit-il là d’une simple relique du passé? La doctrine marxiste-léniniste, qui rejette le principe de séparation des pouvoirs, l’affirme, et, dans bien des pays qui n’adhèrent pas à cette doctrine, cette vue est partagée; il ne saurait exister de pouvoir judiciaire véritable dans des pays où règne une dictature et dans lesquels l’idée de droit est bafouée par ceux qui ont à leur disposition la force. En nombre de pays cependant, préoccupés de justice et soucieux de se prémunir contre l’arbitraire des gouvernants, l’idée demeure, et tend à s’affirmer à nouveau à notre époque, qu’il est sage de développer le rôle des tribunaux et d’en faire un troisième pouvoir. L’existence d’un véritable pouvoir judiciaire, indépendant par rapport aux autres pouvoirs publics, est la condition nécessaire pour que règnent dans un État la justice et le droit, et pour que, en particulier, l’État lui-même soit soumis au droit. Au-delà du contrôle judiciaire de l’administration, qui s’est considérablement développé de nos jours, la prééminence du droit tend à s’affirmer en nombre de pays par l’admission d’un certain contrôle de la constitutionnalité des lois. La formule retenue ne sera pas nécessairement ni même ordinairement une formule qui mène, comme aux États-Unis d’Amérique, au gouvernement des juges. Le «pouvoir judiciaire» pourra se trouver concentré, ici ou là, dans une Cour spéciale, alors que les autres juridictions, sans participer à ce pouvoir, se borneront à exécuter une tâche d’«administration de la justice». Il convient néanmoins de souligner ce fait: l’idée de pouvoir judiciaire, si en certains pays et à certains égards elle est en déclin, n’est pas une idée désuète; il peut bien se faire au contraire que, dans les décennies à venir, elle connaisse un renouveau, dans l’intérêt bien conçu de la justice et de la liberté.
Encyclopédie Universelle. 2012.